Pourquoi le ministère a-t-il mis en place une aide à l’achat de matériels utilisant des lubrifiants biodégradables ?
Jean-Marie Lejeune : Pour des raisons économiques et d’ergonomie évidentes, la mécanisation de l’exploitation forestière a fortement progressé ces dernières années, notamment dans l’exploitation des résineux. Depuis 2009, le ministère de l’agriculture, chargé des forêts, impose l’équipement en huile hydraulique bio-dégradable des machines d’exploitation forestière neuves, financées au titre du dispositif d’aide aux investissements réalisés par les entreprises de travaux forestiers, dans le but de prévenir des pollutions vers le milieu aquatique. Ce dispositif est financé par des crédits nationaux (État et collectivités) et communautaires (au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural, FEADER). Toutes les marques de lubrifiants proposent actuellement une gamme de produits biodégradables (huiles lubrifiantes, huiles hydrauliques, graisses). Utilisés dans de bonnes conditions de maintenance des équipements, ces produits s’avèrent aujourd’hui parfaitement performants et fiables.
Pourriez-vous détailler ce système incitatif ?
Jean-Marie Lejeune : La circulaire DGFAR/SDFB/C2007-5055 du 10 octobre 2007 définit le dispositif d’aide pour les investissements réalisés par les entreprises d’exploitation forestière. Cette circulaire, encore en vigueur, précise que, pour être éligibles, les machines d’exploitation forestière (tracteurs forestiers, porteurs, abatteuses) nécessitant de l’huile hydraulique doivent, à compter du 1er janvier 2009, être adaptées pour l’utilisation d’huile hydraulique biodégradable et non éco-toxique satisfaisant aux critères et exigences fixés par la décision 2005/360/CE de la Commission Européenne.
En quoi les huiles biodégradables s’inscrivent-elles dans une gestion durable de la forêt ?
Jean-Marie Lejeune : Des progrès importants ont été réalisés dans la conception des machines et leur fiabilité. Des incidents mécaniques (ruptures de flexibles hydrauliques) restent néanmoins possibles et, statistiquement, leur fréquence augmente du fait même d’une croissance continue du parc de matériels. L’utilisation des huiles biodégradables contribue de facto à une gestion durable de l’écosystème forestiers dans sa globalité en tenant compte de toutes les fonctions de la forêt, et notamment en termes de préservation de la ressource en eau.
Comme le cahier des charges PEFC pour le propriétaire forestier, le ministère recommande-t-il également de limiter l’utilisation de produits phytosanitaires en forêt ?
Jean-Marie Lejeune : Le plan Ecophyto 2018 vise à réduire progressivement l’utilisation des produits phytosanitaires (communément appelés pesticides) en France tout en maintenant des activités agricoles performantes. Ce plan prévoit une meilleure formation et information des décideurs, conseillers techniques et applicateurs de ces produits.
Ces orientations sont également appliquées en forêt. Leur mise en œuvre s’appuie sur l’action du Département de la santé des forêts (DSF) dont la mission est de surveiller la situation sanitaire de la forêt française. En fonction d’une évaluation permanente du risque, le DSF développe, chaque fois que possible, des techniques alternatives. Celles-ci se traduisent par la sélection d’essences forestières et/ou des traitements sylvicoles mieux adaptés, et reposent parfois sur des moyens de lutte préventive biologique. Ces techniques alternatives visent à un recours aussi limité que possible aux intrants phytosanitaires pendant la phase de renouvellement des peuplements. Les produits phytosanitaires sont utilisés, le cas échéant, pendant une durée extrêmement limitée (2 ou 3 ans) au regard de la vie d’un peuplement (cycle de production plutôt autour de 100 ans).
Quel message adressez-vous aux acteurs de la filière forêt-bois pour préserver les sols forestiers?
Jean-Marie Lejeune : Le sylviculteur a peu d’influence sur l’alimentation et la rétention de l’eau dans le sol (niveau hydrique). Il ne maîtrise que très partiellement la richesse des sols (niveau trophique) par ses interventions. En revanche, à l’occasion des travaux d’exploitation qu’il réalise ou fait réaliser sur sa parcelle, il est de sa pleine responsabilité de veiller, à ce que les mesures propres à éviter les phénomènes de tassement des sols dus à une circulation non maîtrisée d’engins d’exploitation soient prises. Ces machines sont de mieux en mieux conçues (pression au sol réduite), mais leur masse augmente régulièrement. Le sol forestier constitue le capital productif du sylviculteur sur lequel il peut agir positivement et qu’il doit préserver par des mesures appropriées. Rien, pas même un contexte d’après tempête, ne peut justifier la dégradation des sols par des phénomènes de tassement dont les effets perdurent pendant des décennies. Pour s’en convaincre, une littérature abondante existe sur ce sujet. Il est dès lors essentiel de limiter la circulation des engins forestiers sur les seuls cloisonnements d’exploitation, et lorsque cela est possible techniquement et soutenable économiquement, de recourir à des techniques d’exploitation à plus faible impact sur les milieux.
La circulaire du 10 octobre 2007 prévoit que pour être éligible aux aides de l’Etat, le matériel doit être équipé de pneus basse pression ou de tout autre dispositif réduisant l’impact sur les sols. Au-delà des mesures techniques, il reste dans bien des cas à revisiter l’organisation des chantiers d’exploitation qui demeurent fréquemment soumis à de nombreux aléas, notamment climatiques, lesquels ne permettent pas toujours d’approvisionner les industries de transformation du bois comme on approvisionne en flux tendu une usine de construction d’automobiles.